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Emmanuel Ruben

Emmanuel Ruben

L’Usage du Japon (Stock)

C’est à Nicolas Bouvier qu’on doit naturellement ce titre détourné, L’usage du monde devenu ici L’usage du Japon, l’écrivain-voyageur suisse ayant séjourné à trois reprises entre 1956 et 1970 dans ce pays aussi complexe que fascinant.
Ce serait peut-être aussi à Bouvier que l’auteur doit son choix de formes brèves, illuminations, épiphanies, courses à vélo à travers un territoire étiré qui va du sud étouffant au nord gelé, en passant par les pentes du mont Fuji, toit de l’archipel. À l’origine de la traversée historique et géographique d’un Japon pourtant bien actuel, il y a la résidence faite par l’auteur à la villa Kujoyama à Kyoto de novembre 2023 à mars 2024, l’équivalent de la villa Médicis de Rome, mais sur des hauteurs escarpées et loin de notre pays. Insatiable, infatigable, cartographe amateur des beautés paysagères comme des laideurs urbanisées, l’auteur survitaminé tourne à plein régime sur les routes de l’archipel.
De surprises en bonheurs, de verglas en dîners trop arrosés, de petits moments d’immobilité stupéfiée en voyeurisme d’une réalité d’un monde à nos antipodes, entre délicatesse et violence, l’auteur nous entraîne, si l’on ose dire, dans sa roue.
Le captif amoureux de la villa Kujoyama réussira-t-il à écrire son roman sur l’autre arpenteur, Ino Tadataka (1745-1818), la raison pour laquelle il est parti si loin de son pays ? Saura-t-on mieux qui est cet homme qui parcourut 40 000 kilomètres en 17 ans pour mesurer les côtes de l’archipel ? Il y a une folie contenue dans ce récit fougueux sur les traces du père de la cartographie nippone.

Malville (Stock)

« Mon père ne parlait jamais de son boulot. Il disait la centrale, comme s’il n’y en avait qu’une seule au monde, comme si c’était le nombril du monde. Et de fait c’était le nombril de notre monde. »

En 2036, dans une France gouvernée par l’extrême droite, Samuel Vidouble est confiné dans sa cave à la suite d’un accident nucléaire sur le site de la centrale de Malville à l’ombre de laquelle il vivait enfant. Fascinante et monstrueuse, la centrale cristallise les disputes familiales et les luttes politiques des années 80. Sur les bords du Rhône, le jeune Samuel grandit dans l’aura de Thomas, le garçon sauvage, et d’Astrid, une adolescente révoltée, tandis que plane la double menace du Front national et du feu nucléaire. Alternant roman d’apprentissage et d’anticipation, Malville explore cette France périurbaine, ainsi que les conséquences sanitaires et environnementales de nos « choix » énergétiques qui bouleversent irrémédiablement notre rapport au monde, à la terre et au vivant.
Avec ce livre inspiré des lieux de sa jeunesse et tissé de réminiscences littéraires – de Tom Sawyer à Rimbaud –, Emmanuel Ruben affirme sa passion pour la géographie. Une ode vibrante au fleuve et à l’enfance.

Les Méditerranéennes (Stock)

Décembre 2017, banlieue de Lyon. Samuel Vidouble retrouve sa famille maternelle le temps d’un dîner de Hanoukkah haut en tohu-bohu et récits bariolés de leur Algérie, de la prise de Constantine en 1837 à l’exode de 1962. En regardant se consumer les bougies du chandelier, seul objet casé dans la petite valise de Mamie Baya à son arrivée en France et sujet de nombreux fantasmes du roman familial – il aurait appartenu à la Kahina, une reine juive berbère –, il décide de faire le voyage, et s’envole pour Constantine. Il espère aussi retrouver Djamila, qu’il a connue à Paris, la nuit des attentats, et qui est partie faire la Révolution pour en finir avec l’Algérie de Bouteflika.

Passé et présent s’entrelacent au long de ses errances dans les rues de Constantine, aussi bien qu’à Guelma et Annaba, retrouvant les lieux où sa grand-mère s’est mariée, où son grand-père s’est suicidé, où sa mère est née, où sa tante s’est embarquée pour Marseille. De retour en France, il ne cesse d’interroger les femmes de sa famille, celles à qui revient d’allumer les neuf bougies, pour élucider le mystère du chandelier.

Au fil de leurs souvenirs, il comprend ce qui le lie à l’Algérie et ce qui lie toutes ces générations de femmes que l’histoire aurait effacées s’il n’y avait des romans pour les venger. Derrière les identités multiples, légendaires, réelles ou revendiquées – passé berbère, religion juive, langue arabe, citoyenneté française –, c’est l’appartenance à une communauté géographique qui se dessine : le vrai pays de ces Orientales, c’est la Méditerranée, la Méditerranée des exilés d’hier et d’aujourd’hui, la Méditerranée d’Homère et d’Albert Cohen, d’Ibn Khaldun et d’Albert Camus.

Dans ce grand livre de rires et de larmes qui tient à la fois de la quête initiatique, du récit des origines, de la saga familiale et du roman d’amour, Emmanuel Ruben réinvente et magnifie son pays des ancêtres.

Sabre (Stock)

Il était une fois. Comme dans tous les grands romans, c’est-à-dire qui sollicitent notre part d’enfance, cela commence par  : «  Il y avait autrefois dans la salle à manger des grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n’ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé.  » Le revoilà, Samuel Vidouble, le narrateur, coincé dans une maison, poussiéreuse mais encore hantée par les fantômes d’une famille provinciale, calviniste, «  sans histoires, sans qualités, sans titres de gloire  », dans «  un cul-de-sac de la France et de l’Europe  », au bout d’une ligne de train improbable et nocturne, le revoilà, ce Samuel Vidouble, professeur d’histoire désabusé, et amateur de cartes de géographie, qui décide d’enquêter sur ce souvenir d’enfance, guidé par tante Esther, libraire à la retraite : «  Où était-il passé ce sabre  ? Et si je l’avais rêvé  ?  »

Ce n’est pas tant le sabre à la lame courbée, fêlée, couleur de Sienne, que les époques qu’il a pu traverser, les lignées d’hommes, de guerres, de morts, qui impressionnaient autrefois le jeune Samuel, lui qui appartient à la dernière génération ayant connu celles qui firent la guerre. Et puis à quel ancêtre revenait-il, ce sabre  ? Qui était l’héroïque, ou au contraire, l’imposteur sans foi ni loi  : VVRL, Victor Vidouble Rex Livorum  ? Victor Vidouble roi des Lives, qui aurait jadis régné sur un archipel de la Baltique  ? Un descendant d’huguenot confiné dans son pays de marais, d’étangs et de tourbières  ? Un nobliau du XVIIIe siècle, amoureux des cartes de géographie, lui aussi, et qui mise sur elle pour l’arracher à sa province reculée  ? Le baron Victor Vidouble de Saint-Pesant, mythe familial ou légende du grand dehors que les oncles-vétérans réinventent à tour de rôle, à la veillée  ? Vaut-il mieux se vouer au réel, souvent  décevant, que suivre l’aile de l’imaginaire, avec ses histoires d’îles perdues ou inventées  ? À moins qu’une carte au trésor familiale nous permette de situer le lieu et l’époque  d’où viendrait le fameux sabre ?
Dans la lignée des autres livres d’Emmanuel Ruben, qui ont l’imaginaire et l’ailleurs au cœur de leur force, mais d’une puissance romanesque remarquable, d’une invention géographique drolatique, Sabre est le livre de la maturité. Un vrai roman picaresque qui tient des Aventures du Baron de Münchhausen autant que du Baron perché d’Italo Calvino. C’est un jeu de pistes vertigineux qui nous fait remonter le fil du temps jusqu’aux guerres napoléoniennes, et nous invite à un voyage baroque à la poursuite de chimères qui disent notre vérité.

Né en 1980 à Lyon, Emmanuel Ruben est l’auteur d’une dizaine de livres – romans, récits, essais –, parmi lesquels Sur la route du Danube (prix Nicolas Bouvier 2019), Sabre (prix des Deux-Magots 2021) et Les Méditerranéennes (prix du roman historique 2022). Il a publié Malville en août 2024.


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